ENTRETIEN :: Guillaume Fédou





Enfant de David Bowie, fan de Cure et de François Mitterrand, le chanteur Guillaume Fédou est évidemment né dans les 70's. Après avoir sorti quelques singles et un album (Action ou Vérité, en 2010) où il chante la nostalgie de l'adolescence, Guillaume revient plus motivé que jamais avec son dernier titre « l'Apocalypse » et un album en préparation. Attention, il sort de sa chambre.


Bonjour Guillaume ! Comment as-tu découvert la musique ? Quel a été ton déclic ?

Je suis entré de façon concrète dans la musique vers 12 ans, à partir du moment où l’on a bien voulu me confier une « tâche » précise. J’avais 50 francs d’argent de poche par mois mais je ne savais pas du tout quels disques acheter. Ce dont j’étais sûr, en revanche, c'est que je ne voulais plus du Top 50 – même si j’ai regardé l’émission jusqu'au bout ! En bon petit soldat, je prenais mes ordres auprès du grand frère de mon pote Laurent – un copain de classe – et il m’envoyait acheter ses 45 Tours chez Nuggets, le disquaire rue de la Porte-Dijeaux à Bordeaux. N’ayant pas de vrai tourne-disque, je lui léguais mes vinyles et il me les copiait sur K7 en retour ; c’était un peu absurde comme système mais j’étais tout de même très content de pouvoir écouter des morceaux inconnus de Marc Toesca [ancien animateur du Top 50 sur Canal+, ndr] ! Une fois, j’avais demandé au disquaire Invisible touch de Genesis en « picture disc » [vinyle en PVC transparent, ndr] et j’avais décelé dans le regard du vendeur un signe de respect : j’avais prononcé les bons mots, trouvé le bon code. De mémoire, c’est l’évènement qui a déclenché mon attirance pour la musique, que je perçois encore comme une quête infinie.

Apprenais-tu à composer en parallèle ?

Malheureusement pas… Mais alors pas du tout ! Au collège, j’étais un vrai voyou durant les cours de musique de Madame Aymard. Je déclenchais des émeutes qui finissaient en gigantesques batailles de chiques, alors lire des doubles croches sur une partition… Le seul cours « créatif » auquel je croyais un peu, c’était les arts plastiques. Le prof – Mr Jacques Abeille, peintre devenu célèbre pour ses ouvrages – nous faisait vivre sa matière en nous traînant à l’Entrepôt Laîné du CAPC de Bordeaux. Il était assez salace et nous faisait mourir de rire avec ses allusions équivoques, un peu comme Luchini dans le film P.R.O.F.S. ! Ca faisait un bien fou de rire avec le professeur et non plus contre lui ; si seulement ça avait pu arriver plus souvent… Madame Aymard jouait méthodiquement ses partitions à la con sur son piano et je voyais ça comme l’antithèse de la musique, car je pensais alors que la composition devait se dispenser d’enseignement et de discipline (ce dont je suis moins certain aujourd’hui). Il faut dire aussi que le solfège a toujours été mon ennemi. J’arrive certes à trouver des grilles harmoniques [successions d'accords sur lesquels se construit un morceau, ndr], mais je demande toujours à des vrais musiciens de me venir en aide, ou plutôt de venir en aide aux morceaux (car certains ne sont pas trop mal). Comme quoi, j’ai beau haïr le solfège et les notions de technique, j’en ai toujours besoin à un moment. Donc, pardon Madame Aymard ! Je regrette au fond de ne pas avoir appris la musique, un peu comme le tennis, mais je suis cependant sûr d’une chose : la vraie matière dans une école, c’est la cour de récréation, car c’est là que se font les plus inspirantes découvertes…
C’est aussi l’endroit où l’on se laisse le plus influencer… Il faut dire que j’ai toujours été suiveur. Au tournant 80-90, tout le lycée écoutait des groupes fédérateurs comme Prefab Sprout, R.E.M, Stone Roses, Beautiful South ou Happy Mondays qui passaient tous les soirs au Cabaret Bordelais ou au Chat Bleu – deux clubs mythiques de Bordeaux – avant le raz-de-marée Noir Désir et leur album Veuillez rendre l'âme (à qui elle appartient). Lorsque l’album est sorti, c’est comme si nous sortions nous-mêmes, ou plutôt comme si nous sortions de nous-mêmes. « Aux Sombres Héros de l’Amer » fut un énorme tube hexagonal et on était fier de sortir des années Giresse, Chaban & compagnie. On était rock et surtout fous de poésie. Je me souviens de la chanson « Joey 2 », avec son texte proche du mantra Raymond Carver [écrivain et poète américain, ndr] : « Joey est affamé, tournent les mouches, le souffle du soir, aime comme il tord la bouche… ». Ce morceau m’a changé de fond en comble car jusque-là rien ne dépassait à mes yeux les octosyllabes de « L’Anamour » (Serge Gainsbourg). Là, on avait une nouvelle donne que l’on découvrait au bon moment et surtout au bon endroit ! Depuis, on lit partout que Bordeaux est une ville rock. Mais avant Noir Désir, je peux te dire que ça ne sautait pas du tout aux yeux ! Bon il y a Gamine aussi, et puis j’ai vu que les gars d’Aline étaient en couv’ de Magic avec le titre « Revoilà les Anges », cela me remplit de bonheur.

Quels sont les morceaux qui ont t’ont particulièrement marqué ? 

« Changes » de David Bowie, découvert lors de vacances pluvieuses à Lacanau-Océan, vers l’âge de 12 ans. Une véritable révolution intime. L’idée que l’on puisse chanter le concept de changement au point de provoquer un véritable changement m’a tout bonnement autorisé à quitter l’enfance. J’avais mon passeport. Hop, je suis devenu adolescent en un peu plus de trois minutes. Le refrain « ch-ch-ch-changes » dédramatise la notion même de puberté. Le morceau était tiré du best-of de Bowie – je ne connaissais pas encore l’album Hunky Dory – et l’ordre des morceaux très mal choisi, je trouve dommage d’écouter « Suffragette City » ou « Young Americans » après un titre comme « Changes » qui surclasse tout. Ensuite, il y eut « Confidentiel » de Goldman, pour des raisons qui doivent absolument rester secrètes. Tout se joue à la Rochelle en 1989 autour de « la Maison du Chat », mais j’en ai déjà trop dit. Bien plus tard, « This is the day » de The The, avec des paroles quasiment évangéliques : « This is the day your life will surely change. This is the day when things fall into place. » (« C'est le jour où ta vie va sûrement changer. C'est le jour où les choses vont s’arranger »). Ces paroles assurent que le changement sera bénéfique, réparateur. Il y a aussi sa version française, « Le premier jour (du reste de ta vie) » d’Etienne Daho, sublime chanson de changement d’univers (c’est alors l’arrivée d’Internet), du passage d’un état à un autre, mais surtout d’un âge à l’autre. Egalement, je n’oublie pas « Where is my mind ? » des Pixies, chanson sur laquelle je pourrais écrire un livre entier, et « Ring ring ring » de De La Soul qui m’a donné envie de faire mes premiers footings… Mais je ne vais pas vous cacher que je suis plutôt rock et auto-destructeur, surtout à cette époque ! Enfin, « In between days » de The Cure, toujours sur le thème de la transition, entre mini-chien et mini-loup… C’est le plus phénoménal tube new-wave de tous les temps, une explosion compacte, de l’adolescence en spray.

Tu parles beaucoup de changement, ce qui résonne politiquement…

Oui, on l’attend toujours ce putain de changement. J’espère que l’Apocalypse a été bénéfique, que les gens vont se toucher pour vérifier qu’ils sont encore en vie… Après, si tu fais allusion à la campagne de Hollande à laquelle j’ai brièvement participé – j’ai fait un stand-up face à Christiane Taubira et Gaby Cohn-Bendit lors d’un meeting MJS à Roubaix –, je préfère ne rien dire pour le moment. Si ça se trouve on l’a dans l’os, si ça se trouve la « gauche Lexomil » de Hollande/Ayrault va agir comme un sucre lent et de belles choses remonteront à la surface… Après, Florange, le naufrage pour tous, la rigueur de Bruxelles, Notre-Dame-des-Landes, l’arrestation d’Aurore Martin extradée à l’heure du laitier comme dans un bon Kafka… Tout ça m’éloigne un peu de la politique. Je trouve qu’il faut arrêter de compter sur l’Etat et la classe politique pour résoudre nos anxiétés quotidiennes. Lorsque Jospin a dit « l’Etat ne peut pas tout », il a simplement rempli son devoir d’homme d’honneur en énonçant la vérité. Bien sûr qu’il ne peut pas tout, encore heureux ! On voit ce que ça donne à chaque fois que l’Etat prétend pouvoir TOUT faire… Deux mecs fument des Havane pendant qu’une population crève sur des radeaux en partance pour Miami – et tous ne deviennent pas Scarface ! Il faut recommencer à vivre les choses par nous-mêmes, sans intermédiaires avec chauffeur. Tu sais que je connais un ancien ministre qui s’assied toujours à l’arrière de sa propre voiture ? Mec, le volant c’est devant ! Je positive toutefois car on sort d’une décennie où la peur d’exploser était le fondement même de notre quotidien dans l’ambiance post-11-Septembre. Culturellement, on l’a payé cher. On a par exemple assisté au retour de la scène « rock » avec The Strokes, fers de lance – malgré eux – d’un élan réactionnaire et fils à papa, et je ne dis pas ça parce que le père de Casablancas [membre du groupe, ndr] est patron d’Elite Models [agence de mannequinat parisienne, ndr]. Simplement, ce vrai-faux « retour » – qui a donné lieu à l’abominable vague de bébé-rockeurs du Gibus dont est miraculeusement rescapé Lescop – s’est opéré au détriment de la musique électronique. Un problème de live aussi. Aphex Twin se cachait sous ses machines, les Daft étaient casqués… L’ère Bush-Sarko a généré un mouvement de résistance qui a amené les gens dans les salles… Un besoin de promiscuité et de bières fraîches… Mais le 11-Septembre a aussi ramené l’ego au centre de la création, comme si on avait besoin d’écrire son nom sur les murs avant la fin du monde – avant Facebook. Je me souviens que les noms propres circulaient très peu dans les conversations d’avant, on parlait parfois des autres mais sans les nommer, ou juste par leur prénom. Aujourd’hui, c’est toujours « Guillaume Fédou a dit ceci… », comme si l’on était retourné sur les bancs de l’école.

Le nom de ton premier album Action ou Vérité fait bien référence au jeu enfantin ?

Il y a d’une part la référence au jeu enfantin, parfois cruel, et d’autre part la volonté de lier le réel (« Action ») à la pensée (« Vérité »). J’aurais dû l’appeler Action et Vérité mais je perdais alors la référence enfantine, voire adolescente dans mon cas puisque tout mon drame personnel s’est noué à l’adolescence au travers de ce jeu stupide : la fille que j’aimais au-delà de toute folie irraisonnée m’a embrassé par « gage » et je ne pouvais que me laisser faire ; une véritable humiliation publique. En même temps, sans ce gage « Action », je n’aurais sans doute jamais goûté ses lèvres. Difficile « Vérité ». Mais j’ai bien changé depuis, je prends ma vie en main (rires).

Pourquoi avoir ouvert l'album sur un extrait de l’entretien télévisé entre Balavoine et Mitterrand en mars 1980 ?

« Ca fait 3/4h que je suis là et que je m’ennuie à entendre des bêtises, alors maintenant si je ne peux rien dire avant la fin de l’émission […] j’aurai pas le temps [de m’exprimer] […] j’ai juste le temps de me mettre en colère […] » Cet extrait a tellement été diffusé à la télévision que je voulais juste l’entendre sans le voir à nouveau. Et puis je me suis rendu compte avec Junesex, mes producteurs à l’époque, que l’extrait collait bien avec notre mini-reprise d’ « Un autre monde » de Téléphone – dont je ne reprends que le dernier couplet, par snobisme (rires). Nous avons mis au point un « pack années 80 » avec Balavoine, Mitterrand et le groupe Téléphone, qui était un peu mon groupe à l’époque bordelaise – mais il faudrait au moins dix ans de psychanalyse pour en comprendre les raisons. L’ « autre monde » a également été chanté par Balavoine, il doit y avoir un truc d’inconscient collectif. Et maintenant on le sait, l’autre monde est notre monde. Et oui bande de branchés, Jean-Louis Aubert fut un messie du temps de son illustre splendeur !

Tu chantes essentiellement des amours de jeunesse d’une voix morose, aurais-tu la nostalgie de l’adolescence et/ou de Bordeaux ?

Dans Action ou Vérité je raconte en effet beaucoup d’histoires entre Bordeaux et Paris car ce thème m’obsède… Tu as vu Albert Souffre, le film de Bruno Nuytten ? C’est l’histoire d’un jeune parisien qui file à Bordeaux par l’autoroute dans une voiture sans permis et les Pixies sont sur toute la BO… Non ? Bon, on en reparlera dans une autre interview ! J’ai cru bon de murmurer mes histoires dans un style plus proche de Souchon ou Murat que de Noir Désir – bien que j’ai du Noir Désir en moi venant de Bordeaux. En fait, j’ai surtout la nostalgie de ma chambre à Bordeaux, elle était géniale (pleurs). Action ou Vérité est un album de chambre : la musique a été composée et les chansons écrites dans ma chambre, sur la pochette on me voit allongé sur un lit, et j’apparais de nouveau couché dans le clip d’ « Il n’y a que toi » réalisé par Jean-François Tatin – ce dernier avait déjà tourné le légendaire clip de « Garçon Moderne » en 2003 et que je conseille à tous nos jeunes lecteurs (rires).

Quels sont les ouvrages présents sur la pochette de l’album ?

Werther est le livret de l’opéra de Jules Massenet, inspiré de la figure du romantisme allemand, Les Souffrances du jeune Werther de Goethe. Je suis allé voir l’opéra sur les conseils d’Eric Dahan, l’un des plus beaux esprits de France. Pour aller vite, trop vite, Werther est aux écorchés vifs ce que Scarface est aux cailleras : un mythe absolu. Quant à The Manual (How to Have a Number One the Easy Way), il s’agit d’un « manuel » écrit par le leader du groupe KLF expliquant comment réaliser un tube sans argent ni compétences musicales. Le livre m'a été offert par Pierre Le Ny, mon premier manager qui gère aujourd'hui Woodkid – ce dernier n'a apparemment pas eu besoin du livre en question pour réussir ! C’est la nouvelle génération, les digital born… Quant à la pochette, elle a été peinte par Alexandra Compain-Tissier et je vous invite à découvrir son travail !





Etant donné que tu as composé quasiment tous tes morceaux avec ton synthé Yamaha PSS-570, la séparation est-elle envisageable un jour ?

J’arrive à composer des morceaux entiers avec lui car je peux changer les arrangements en cours de route, ce dont ne sont pas capables la plupart des autres claviers dotés de séquenceurs. Lorsque j’en parle avec des musiciens « sérieux », ils comprennent sa particularité et sont réellement impressionnés… (rires) D’ailleurs, je ne sais me servir que de celui-là, je l’ai même en double grâce à David de Junesex qui l’a trouvé sur eBay ! Chose étrange, j’ai récemment composé ce qui doit être ma plus belle chanson sur un piano dans une maison de vacances, mais quand je la rejoue sur le synthé ça ne fonctionne pas. Et c’est horrible à dire car je joue avec lui depuis que j’ai 15 ans. J’ai toujours plaisir à l’allumer, mettre mon casque et jouer ; c’est une sorte de rituel, une cohérence avec l’ado que j’ai été. Alors c’est peut-être la fin d'un cycle. Je n’ai pas de piano chez moi et ça me manque terriblement… Avis aux détenteurs de pianos Klein, j’en cherche un !

Tu as fondé un label à la fin des années 90, Pop Earth, peux-tu nous en parler ?

Comment es-tu au courant !? Je n’ai toujours pas de fiche Wikipédia pourtant !? (rires) Alors OK, c’est mon « Fréquenstar » : on est en 1996, je suis membre du syndicat homéo-gauchiste UNEF-ID [Union nationale des étudiants de France – Indépendante et démocratique, ndr] en même temps que de plusieurs autres associations basées à Paris-Dauphine, dont SOS Racisme en tant que vice-président. Par ailleurs, j’avais dû quitter Bordeaux pour suivre ma mère à Paris après avoir passé mon bac au Lycée Français de Vienne. C’est complexe mais peu importe, le truc à retenir c’est que cet exil forcé a développé chez moi une forte crise identitaire. Bordeaux a une telle image pourrie que personne ne sait plus à quoi la ville ressemble véritablement. Du coup, les premières années à Paris n’étaient pas faciles. J’ai souffert d’être vu comme « le bordelais de service », je subissais une sorte de racisme de classe jusqu’à ce jour grisâtre de 1996 où une nana très mignonne de l’UNEF-ID – Valentine – repère des mots bien de chez nous dans mes expressions : « gavé », « complet » etc. Elle me parle alors d’un de ses potes bordelais apparemment célèbre pour jouer de la guitare tout l’été sur la plage d’Hendaye. Elle qualifie son jeu de fièvreux ; je m’en souviens très précisément. Mon computer interne n’a fait qu’un tour : « Thomas Boulard !? ». Il s’agissait effectivement de lui, mon super pote de collège. Valentine m’apprend qu’il était monté à Paris. Le soir même, après avoir essayé un premier numéro dans l’annuaire, je réussis à le joindre – on n’avait pas encore Internet, hein. À mon grand étonnement, ce mec que j’imaginais tel un Mark Knopfler [membre des Dire Straits, ndr] solitaire s’était créé un véritable réseau parisien. Il était totalement décomplexé sur la question provinciale, ce qui me faisait un bien fou. Thomas me proposa immédiatement de monter un label et je lui fis alors rencontrer Jean-Christophe Mercier – mon pote de fac et ancien chanteur du groupe Duplex – qui souhaitait également en créer un. En parallèle, un autre ami, Fabrice Desprez [fondateur de Phunk Promotion, agence française de relation médias et communication consacrée aux musiques actuelles, ndr], voulait organiser des soirées dans un ancien bar à hôtesses de Pigalle et les nommer « Pop Earth », en référence à un certain vasodilatateur... Je lui ai chapardé ce nom génial pour baptiser notre label et on a ouvert un compte au Crédit Agricole de la rue de Bretagne et déclaré le label domicilié au 33 rue Charlot dans le 3ème arrondissement. Par la suite, Thomas est devenu rock-star avec Luke, et JC alterna maisons de disques parisiennes et randonnées de fou furieux en montagne. Inutile donc de nous envoyer des démos aujourd’hui !

Comment a débuté Pop Earth ?

Avant de devenir un label, Pop Earth était un concept : demander à cinq groupes de composer chacun deux morceaux le temps d'un aller-retour sur l'Océane, l’autoroute qui relie Paris à Bordeaux ; autant dire mon autoroute tellement je la connais par cœur. On a donc sorti en toute intimité L’Océane, une compilation incluant des morceaux de Notre-Dame, entre autres.



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Je tiens à préciser d’emblée qu’à cette époque j’étais moins fan de Notre-Dame que Desprez – qui venait souvent dans mon studio de Montmartre taper ses articles sur mon premier Thinkpad. Fabrice était fan de techno et valeureux journaliste de Magic RPM. Un matin, alors que je roupillais, il écouta un album démo de Notre-Dame qui traînait dans ma chambre et me réveilla en fanfare : « Fédou, debout !!! Ce disque est un chef-d’œuvre, tu as rendez-vous à 15h avec Basterra !!! ». J’étais dans le coltard et n’y croyais pas : Basterra, le boss de Magic, c’était génial… J’avais accès à l’antre de la vraie bonne musique ! J’ai donc vu Basterra ce jour-là à 15 heures, il a adoré le morceau éponyme de Notre-Dame et délivra sa sentence : « Pleine page ». Une pleine page dans Magic ! J’étais sous le choc. Le leader du groupe, Arnaud Fleurent-Didier, allait faire l’ouverture des pages « Premiers Symptômes » de Jean-Noël Dastugue. Ce dernier me demanda le contact de Notre-Dame, seulement je n'avais rencontré Arnaud qu’une seule fois avec mon pote Laurent (le grand frère de mon gourou de Nuggets pour ceux qui suivent toujours) et je n'avais donc pas obtenu son accord pour l’article… Je n’étais mandaté pour rien ni par personne ! Sans compter que j’aimais sa musique sans grande conviction, car je n'avais pas encore l'oreille pour réaliser à quel point ses compositions étaient très riches et les arrangements sophistiqués. Ils étaient quatre dans le groupe mais j’ai vite compris qu’Arnaud était le grand manitou… Point sur lequel je ne me serais pas trompé (rires). On a ensuite sorti le premier album de Notre-Dame, Chansons Originales.

Fabrice semblait être un véritable coach !?

Oui, c’était mon coach de pop. Il avait de l’avance sur la connaissance, la curiosité musicale et aussi les réseaux. Un soir, il avait invité le groupe Air [Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, ndr] chez moi, rue Tholozé. Godin vivait rue Burq, juste derrière, et nous étions donc « voisins de Butte ». Par ailleurs, toute la French Touch résidait à Montmartre (Thomas Bangalter de Daft Punk, Etienne De Crécy, Alex Gopher etc), c’était la Silicon Valley de la house filtrée ! À cette époque, Air avait uniquement sorti le morceau « Modulor » sur la première compil Source Lab. Sur les conseils de Fabrice, je leur ai donc filé ce soir-là le disque de Notre-Dame et Nicolas m’appela le lendemain à 8 heures, un dimanche : « Ces mecs sont des génies absolus, ils ont tout fait sur quatre pistes, c'est incroyable il faut que je les rencontre ! », puis il raccrocha. Fabrice avait tout de suite réalisé ce que Air représentait et le phénomène qu’ils allaient devenir. Nicolas et Arnaud sont restés amis… le label aura au moins servi à ça ! Ce sont les dandies éclairés de la french pop…

Tu aurais souhaité travailler avec Air ?

Pas du tout, car je ne connaissais presque rien de ce qu’ils faisaient ! Une fois, Jean-Benoît m’avait demandé si je connaissais une chanteuse et je lui avais alors parlé d’Adèle – dont j’étais fou amoureux – du groupe Bel-Air. Ils l’ont rencontré mais n’ont rien fait ensemble. Christophe Hetier – le guitariste de Bel-Air –, ayant appris par Air qu’une nouvelle compile Source Lab se préparait, en a profité pour placer le premier morceau de son autre groupe, Télépopmusik, auprès de Marc Teissier du Cros [co-fondateur avec Air du label Record Makers, ndr]. Les dossiers noirs de la french touch… attention ! Le fait est que j’étais au centre de tout à cette époque, sauf de moi-même.

Tes chansons n’étaient toujours pas sorties de ta chambre ?

Alors que j’aurais dû être heureux avec tout ce qui m’arrivait, j'avais des problèmes familiaux qui me détruisaient. Mais, grâce à Arnaud et son pote Maxime (l’autre chanteur de Notre-Dame), ma vie a basculé dans le bon sens. Un soir, les deux Parisiens se pointent chez moi pour aller à une soirée d’anniversaire. Maxime ne pensait qu’à choper des filles et j’en connaissais pas mal. Je mets du temps à me préparer et Arnaud voit mon synthé rangé en haut d’une armoire. Il me demande pourquoi je ne lui en ai jamais parlé et je lui raconte alors une sombre histoire de nana… Puis ils insistent lourdement pour que j’en joue et, comme je vois qu’ils ne vont pas me lâcher, je me mets à jouer. Ce devait être une chanson écrite en cours de socio, « Echec scolaire » (tu vois le genre), et je la jouais une ou deux fois en rentrant de soirée à des filles plus bourrées que moi… Stupeur ! Maxime me compare à Jean-Louis Murat dont il est pour ainsi dire le premier fan français et Arnaud me demande « t'en as d'autres ? ». Je leur sors en rigolant une chemise pleine à craquer de textes. Arnaud me dit en substance : « C'est sympa de t'occuper de nous, mais tu vas venir au studio et c’est moi qui vais te produire ». Tout à coup, mes chansons sont devenues un véritable enjeu social alors que je les gardais jusqu’ici uniquement pour moi et quelques amies de passage…

Relativement peu médiatisé, surtout à l’époque, tu sembles tout de même avoir joué un rôle dans l’histoire musicale parisienne ?

J’ai toujours souhaité relier les choses et les gens. « Tout se tient » comme disait Ségolène en 2007 (rires), il n'y a pas d'art majeur et d’art mineur. Je pense entre autres à la « complexité » au sens d'Edgar Morin : elle ne doit pas faire peur mais au contraire nous rassembler. « Complexité » est formé de « com- » qui signifie « avec » en latin et veut dire « faire tenir les choses ensemble» ; c’est un lien. Tout est à prendre en compte comme le chantent Depeche Mode dans « Everything Counts » – Internet en est la preuve autant que le moyen. Didier Lestrade écrivait dans Rue89 qu'on ne réalisait pas la chance que nous avions de vivre avec les réseaux sociaux. Il y a eu les années disco en 80 (avec Le Palace), la révolution des raves en 90 et nous, c'est Facebook.

Mis à part la musique, avais-tu d’autres aspirations ?

J'aimais bien écrire des nouvelles, ou bla-blater pour des fanzines. J'aimais aussi monter des projets, faire le roadie… tout m'allait en fait. Au départ, je n'étais qu’un couillon d’étudiant en sciences-éco à Dauphine venant de Bordeaux, donc j'étais content du moindre truc funky. Tu imagines l’ennui faramineux, les journées duraient des années lorsque j’avais 13 ans à Bordeaux, on n’avait rien à part des mobs et des baby-foot. J’ai eu trop de temps libre en y repensant...

Quelle est ton actualité ?

Une amie attachée de presse, Fred Phi, a milité auprès de Benjamin Diamond – chanteur, fondateur du label Diamond Traxx et co-compositeur de « Music sounds better with you » de Stardust, entre autres – pour qu’il écoute mes compos et ce dernier a accepté de me produire avec Aysam Rahmania. Mon prochain album sera à la fois la suite et l’inverse d’Action ou Vérité : mon synthé reste à la maison pendant que je sors, je me découvre une autre face, plus ouverte et surtout plus conquérante. L’album devrait s’appeler Nouvelle Fidélité en référence à l’écrivain colombien Gabriel García Márquez et portera sur la fidélité dans le couple, à soi-même ainsi qu’à ses amis. C’est surtout la fidélité au son qui m’intéresse, au sens hi-fi du terme. Je suis bien tombé avec Diamond car c’est vraiment la personne idéale pour mes nouvelles compositions. D’abord parce que c’est un producteur génial, mais aussi parce que c’est un vrai chanteur et qu’il me pousse à mort sur les voix, ce qui m’amène à me dépasser, à trouver des nouveaux trucs, à quitter mes habitudes bordelaises… Vrai parisien lui aussi, Aysam amène du soleil dans les refrains et une culture pop extrême hyper structurée – il est « Whamologue » (rires). Le 21 décembre 2012, on a sorti le single « L’Apocalypse » (« dévoilement », « révélation » en grec ancien) qui a été mixé par Alan Braxe. On a tourné un clip de fou furieux avec 3 balles 50 sous la direction de Xavier Magot, un bordelais comme on en fait plus… La boucle est bouclée.

Quel est ton rêve le plus fou ?

Le plus fou ? Ce serait d’avoir un beau studio dans lequel j’inviterais tous les gens avec qui je veux collaborer depuis le début, ou avec qui j’ai déjà tenté des trucs comme Avril, Rob, Los Chicros, Housse de Racket… On ferait un album de featurings démentiel, le « Fédou All Stars » ! J’ai déjà pensé au lieu…

Voilà, tu disposes maintenant de mon ADN socio-musical, me voilà disséqué, mis à nu telle une souris en cours de bio. Je peux mourir maintenant… Enfin, pas avant que « l’Apocalypse » ou mon prochain single « La Vie normale » n’aient ravagé la France entière, hamdoullah ! L’essentiel reste d’affirmer que mon talent, si j’en ai un, a été de faire des rencontres, souvent viriles et parfois fructueuses. Autrement, dans mes rêves diurnes, j’aimerais écrire la vraie chanson de potes, parce qu’ils représentent ma clé pour supporter le monde, refaire « Les Copains d’abord » de Brassens en 2.0…


Un  dernier mot pour conclure ?

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme», principe inoxydable de Lavoisier. Ce sera mon épitaphe… pour cette fois.


Un grand merci à Guillaume !


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